Cameroon Policy Analysis and Research Center --- Centre d'Analyse et de Recherche sur les Politiques Economiques et Sociales du Cameroun

Les outils et supports de mise en œuvre de la Stratégie Nationale de Développement (SND30), où en est-on 02 ans après ?

14 mars 2022

La mise en œuvre de la SND30 place le Cameroun sur un chemin critique (au sens de la recherche opérationnelle dans les sciences de l’ingénieur), i.e. qu’aucune sortie de piste n’est plus autorisée, ni tolérée si on veut conserver les chances d’être au rendez-vous de l’ÉMERGENCE en 2035 selon le contenu et la définition convenus depuis 2009.

Après les résultats mitigés du Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) 2010-2019, la SND30 a élaboré deux scénarii dont un dit de référence, et l’autre dit de Vision. Et comme son nom l’indique, c’est ce second scénario qui propose le sentier vers le graal, le statut de pays émergent, démocratique et uni dans sa diversité (dixit). Pour ce faire, les autorités ont séquencé la décennie de mise en œuvre de la SND30 en 03 phases jusqu’en 2030. Ce phasage se présente comme suit : (i)  phase 1 : 2020-2022 ; (ii) phase 2 : 2023-2025 ; (iii) phase 3 : 2026-2029 (2030).

Rendu à mars  2022, nous sommes fatalement aux portes de l’échéance de 36 mois, et rendus largement au-delà de la mi-parcours de la première phase. Il n’est donc pas question pour nous de faire une évaluation à mi-parcours, mais une évaluation anticipée des attentes aux termes de la période 2020-2022, afin que ce qui peut l’être, soit sauf.

Fondement méthodologique

Certains esprits pourraient crier à l’inopportunité d’une évaluation à ce stade. Que non ! Nous allons convoquer ici la démarche d’assurance qualité par opposition au contrôle qualité[1].

La présente note a donc pour objectif de sonner la clochette pour éviter toute tentation à l’attentisme basée sur une impression erronée que nous avons le temps jusqu’en 2029 alors que le temps joue contre nous. Chaque étape et chaque escalier doit être validé conforme au schéma esquissé dans le temps et selon la qualité requise pour soutenir la marche jusqu’aux résultats en 2030, et 2035 au final. Elle voudrait particulièrement se pencher spécifiquement sur 03 axes qui sont présentés comme des impératifs par la SND30 et qui constituent (à notre humble avis) des déclencheurs d’action structurante ou structurelle, et des multiplicateurs positifs. Il s’agit de :

  • L’axe 1.1. Sur la transformation structurelle qui repose sur le Plan directeur d’industrialisation (PDI), nouveau ;
  • L’axe 2.1. Sur le développement du capital humain qui repose sur le plan STEM (Science-Technologie-Engeneering-Mathematics) ;
  • L’axe 3.1. Sur la gouvernance économique qui propose la création d’une unité de veille stratégique et d’intelligence économique.

Encadré 1 : De la Vision à l’Émergence ; 25 ans de route

2009 : Proclamation de la Vision 2035 : Cameroun, pays émergent, démocratique et uni dans sa diversité ;

2010-2019 : DSCE (10 ans), mise en œuvre de la stratégie pour la croissance et l’emploi

2020-2029 : SND30 (10 ans), mise en œuvre de la Stratégie Nationale de Développement à l’horizon 2030

2035 : Constatation du statut de pays émergent.

  1. Le nouveau Plan directeur d’industrialisation aligné sur la SND30 : retard à l’allumage !

Par un concours de circonstance et de casting de personnes ressources, nous avons eu l’opportunité de contribuer à la réflexion et aux travaux de mise à jour du plan directeur d’industrialisation (PDI) du Cameroun[2] pour l’arrimer à la SND30, selon les orientations du Premier Ministre/Chef du Gouvernement. Ce fut fait fin 2020/début 2021. La copie a été rendue et depuis lors, un long silence radio autour de cet instrument n°01 censé représenter le principal support du pilier de la transformation économique de la SND30.

Un plan opérationnel de mise en œuvre et un plan de suivi-évaluation reposant sur une approche novatrice, et basée sur la performance ont été proposés. Un plan de communication également.

Un an plus tard, qu’est-ce qui coince ? Sa mise en œuvre, du moins son lancement effectif devrait pourtant marquer la 1ère phase 2020-2022 de la SND30 avec l’achèvement des projets engagés et non achevés dans la période du DSCE. Cela est clairement consigné dans la Matrice d’actions prioritaires de la SND30.

 

 

Tableau 1 : Probabilité de mise en service de quelques grands  projets reconduits du DSCE.

Nom du projet État en Dec 2021 Probabilité de mise en service en 2022
1 Barrage de Lom Pangar En cours En partie
2 Port de Kribi Phase 1, achevée OK
3 Deuxième Pont sur le Wouri OK OK
4 Barrage hydroélectrique de Memve’ele En cours Peu probable
5 Barrage hydroélectrique de Mekin En cours ?
6 Autoroute Yaoundé-Douala En veilleuse[3] NON
7 Autoroute Yaoundé-Nsimalen En cours[4] Probable
8 Centrale à gaz de Kribi Achevée Attente ligne de transport pour Douala
9 Construction d’usines de production d’engrais chimique —–
10 Développement du réseau à fibre optique OK OK
11 Construction de nouvelles alumineries Non engagée NA
12 Développement d’hyper-extensions agropastorales Non engagé NA
13 Projet d’alimentation en eau potable de la ville de Yaoundé et ses environs (PAEPYS) En cours Probable
14 Construction de 1000 km de chemin de fer Non engagé NA

Source : CAMERCAP-PARC, 2022                                                                   NA : Évaluation non applicable

La publication et la mise en route officielle du PDI30 devrait représenter un message fort de rupture d’avec les pratiques antérieures et indiquer la volonté d’une transformation structurelle de l’économie. Il reste 09 mois pour faire ce qui aurait dû se faire en 36 mois et chaque jour de plus est un glissement vers la sortie de piste !

Il en est ainsi du PDI comme les zones économiques créées par la loi N°2013/011 du 16 décembre 2013, complétée par le décret n°2019/199 du 17 avril 2019 fixant les modalités de création et de gestion des zones économiques au Cameroun.

  1. Le plan STEM pour l’adaptation du système éducatif aux besoins de développement

Le procès contre le MINEFOP[5] ne doit pas avoir lieu. Il s’agit bien d’un engagement du Gouvernement inscrit comme un impératif dans la SND30. Toutes les études normatives et exploratoires l’ont démontré et le Cameroun l’a admis comme une évidence et une option salutaire. La transformation économique dont on parle passera nécessairement par la science et la technologie. Il faut donc inverser notre modèle d’enseignement en privilégiant les enseignements professionnels orientés vers les sciences, les techniques et l’innovation.

Afin de répondre aux besoins de développement local, le CAMERCAP-PARC avait déjà travaillé avec le MINESUP (2017) sur un modèle de création des académies régionales en fonction des zones agroécologiques et l’adaptation des contenus des enseignements selon le découpage à convenir.

Le problème demeure cependant au niveau du sommet de la pyramide. La création des universités d’État jusque-là ne semble pas donner le message fort souhaité. Car avec 11 universités d’État conçues et présentées selon un modèle identique qui est en réalité une copie conforme de l’ex-Université de Yaoundé (la mère des Universités camerounaises), il n’est pas conceptuellement et psychologiquement créé la rupture pourtant nécessaire. Le Cameroun devrait spécialiser ses Universités pour une formation de masse des jeunes dans les sciences et technologies, seule manière de parvenir à une masse critique de ressources humaines pour un décollage vers  la transformation structurelle de l’économie nationale.

L’option des « grandes écoles » universitaires selon le modèle français ne permet pas de franchir le pas pour l’émergence. Les pays d’Asie du Sud Est et tous les pays aujourd’hui émergents ont adopté cette approche. Sur les 11, au moins 05 universités d’État devrait être à vocation STEM et dénommées comme telles[6].

La MAP de la SND30 propose comme extrant en 2022, la mise en place d’un plan STEM (P.186) avec 03 indicateurs, à savoir : (i) Pourcentage des élèves du secondaire dans les filières scientifiques, techniques et professionnelles ; (ii) Pourcentage des étudiants dans les filières scientifiques et techniques ; et (iii) Plan STEM mis en œuvre (voir SSEF).

À date, au premier trimestre de la 3è année calendaire de mise en œuvre de la SND30, marquant l’échéance de la phase 1, le plan STEM reste muet, pour dire attendu. La responsabilité est conférée au Ministère de l’Enseignement Supérieur  en lieu  et place de l’ensemble du secteur Éducation Formation, ce qui ne paraît pas judicieux/optimal à notre modeste avis. Ainsi, à 09 mois de l’échéance, qu’est-ce qui peut encore être fait pour honorer cette échéance, conformément aux déclarations  de la SND30.

Un acte courageux/fort dans le sens de la rupture devrait être posé par ceux qui ont le pouvoir de décision afin de susciter l’adhésion et la confiance des populations. Pour cette réforme, voire révolution du système éducatif camerounais.

  • La création d’une unité de veille stratégique et d’intelligence économique.

La création d’une unité de veille stratégique et d’intelligence économique devrait permettre de «scruter en permanence l’environnement économique régional et international pour déceler les signaux d’alerte et les opportunités du pays[7] » Cf.P.181./Matrice d’actions prioritaires. L’échéance de cette mesure/action étant 2022 puisqu’elle est inscrite/prévue dans la première phase, c’est dire qu’elle constitue un impératif préalable pour les résultats futurs jusqu’en 2030.

Comme autre résultat, il est attendu sur la même période « une stratégie d’intelligence économique disponible et opérationnelle ». (Action 1.5.) Et la responsabilité est confiée à un pool d’administrations composé du MINFI/MINEPAT/MINMIDT/MINCOMMERCE/

MINPMEESA, une autre source d’inefficacité.

Au-delà des procédures administratives et organisationnelles pour la mise sur pieds de cette unité, et son envol opérationnel véritable conforme à un mandat formel à définir, l’horloge tourne et, le risque de manquer le rendez-vous grandit de jour en jour. D’abord parce que sur le plan institutionnel, le débat et la bataille sur son statut, son ancrage et les mécanismes régissant son fonctionnement vont faire l’objet de pressions de toutes natures. Nous connaissons bien  notre pays ! Puis la question des ressources va se poser, etc. Des exemples sont légions des structures et des réformes annoncées qui n’ont jamais vu le jour. Entre temps, le Centre d’Analyse et de Recherche sur les Politiques Économiques et Sociales (CAMERCAP-PARC) essaie de proposer depuis près d’une dizaine d’années des travaux allant dans ce sens. Encore aujourd’hui, et sans ressources, des réflexions sont initiées et partagées. Et si dans un souci de recherche d’efficacité et de réalisme stratégique le mandat officiel lui était accordé ? Quelques ajustements en termes de renforcement des capacités organisationnelles et humaines suffiraient à capitaliser une expertise et une expérience déjà en place. Voilà comment un résultat pourrait-être validé courant 2022 sans s’arracher les cheveux. Ce serait un point positif de marqué et un pas franchi. A 09 mois restant sur les 36 mois de la phase1, l’urgence sonne à la porte.

Des 03 axes symboliques ci-dessus explorés, comme les autres que convoque la SND30, leur positionnement sur un chemin critique exige un leadership proactif qui n’est plus compatible avec les hésitations et autres lourdeurs administratives proches de l’inertie. On est désormais dans l’eau. Et si on ne rame pas à bon vent, on coule ! Et ce n’est certainement le souhait de personne, en commençant par les plus hautes autorités.

Très humblement mais avec conviction, nous posons notre pierre à l’édifice.  Evaluer-Proposer-Innover./-

©Camercap-Parc / 22/02/2022

[1] En management moderne, la pratique du suivi-évaluation a progressivement évolué du Contrôle Qualité, au Contrôle Qualité Totale (TQC, Total Quality Control) pour s’arrimer aujourd’hui à l’approche Assurance Qualité.

En effet, le contrôle Qualité consistait à faire une évaluation des produits à la fin du processus de fabrication afin de confronter leur conformité au résultat (théorique ou expérimental initial) escompté. On pouvait alors tolérer une marge d’erreur (ou d’efficacité) à un certain pourcentage. C’est cette démarche et ce principe qui continue à être appliqué dans la pharmacologie pour donner  les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments.

Le TQC est intervenu plus tard dans l’industrie et vise le zéro défaut dans les produits à la fin du processus, sous peine de voir retirer tout le lot. La conséquence fatale étant une perte sèche  au bout du compte en cas de défaut constater (même un seul cas).

Pour éviter ces risques d’échec ex-post et de pertes sèches, la démarche d’Assurance Qualité anticipe le contrôle et l’inclut tout au long le processus du début à la fin, afin de garantir la qualité des produits (extrants). La méthode consiste donc à contrôler chaque étape du processus dans plusieurs dimensions, notamment : (a) le système et les acteurs ; (b) l’environnement de mise en œuvre ; (c) les outils et méthodes/le processus ; (d) les extrants intermédiaires/produits

[2] Plan élaboré par le MINMIDT en 2018

[3] Un premier tronçon de 60 km sur les 240 a été livré mais peu exploitable.

[4] Les finitions pour mise en service se poursuivent

[5] Un débat à travers les médias locaux courant février 2022 sur les propos du Ministre Issa Tchiroma Bakari à propos du choix des filières scientifiques et technologies par rapport aux humanités.

[6] Université Technologie de Garoua !? Université scientifique d’Ebolowa !? À l’instar du M.I.T

[7] Cf.P.181./Matrice d’actions prioritaires.

Last modified: 14 mars 2022

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