Cameroon Policy Analysis and Research Center --- Centre d'Analyse et de Recherche sur les Politiques Economiques et Sociales du Cameroun

Port fluvial de Garoua : la relance qui s’impose

22 août 2023

A quoi pouvait ressembler Garoua en 1935 ? C’est cette année-là, 25 ans avant l’indépendance de notre pays que le port fluvial de Garoua fut créé. Il est presque nonagénaire. La « Vieille Dame » a 88 ans. Mais, elle n’a plus toutes ses dents.  Il en est de Garoua comme de Douala, Limbé, Kribi, voire Tiko. Les ports ont précédé la naissance de ces villes. Si celui de Douala, en plein essor véritable depuis le XVIIIe siècle et qui s’élance désormais vers son bicentenaire, a pu se développer de manière ininterrompue, tel n’est pas le cas des plateformes de Limbé et de Garoua. Jadis pôles économiques prospères et dynamiques, ces villes n’ont pas pu garder le rythme. Leurs installations portuaires n’ont pas pu s’adapter à la modernité. A cause de plusieurs raisons, les ouvrages et leurs équipements associés sont tombés en ruines. Ils sont démodés. Depuis quelques années, le gouvernement a engagé un vaste programme de réhabilitation de ces ports, outils précieux et indispensables dans le développement d’un pays. Le Cameroun peut se frotter les mains. Il dispose de cours d’eau navigables, dont certains communiquent directement avec l’Océan atlantique.

La décision de réhabiliter le port de Garoua n’est pas une idée spontanée.  Elle procède d’une stratégie mûrement réfléchie par le chef de l’Etat. Le 31 décembre 2021, lors de son message de présentation des vœux à la Nation, lorsqu’il annonçait la création des universités d’Ebolowa, Bertoua et Garoua qui venaient compléter le corpus qui existait déjà dans les autres régions du pays, Paul Biya réitérait que l’Etat va « poursuivre la mise en œuvre du programme d’investissements, en réduisant les disparités infrastructurelles qui existent entre les régions de notre pays dans différents domaines. » C’est aussi sous ce prisme qu’il faut lire la réhabilitation envisagée du port de Garoua qui s’intègre dans le schéma d’aménagement du territoire, lequel ambitionne de construire les infrastructures stratégiques dans les quatre principales aires géographiques du pays, tel que recommandé par la Stratégie nationale de développement à l’horizon 2030 (SND30).

Dans la mouvance de la redynamisation des places portuaires nationales, les pouvoirs publics ont initié la construction et la réhabilitation des ports de Kribi, Limbé et Garoua. Du 24 au 28 juillet 2023, une mission de l’Autorité portuaire nationale (APN) conduite par son Directeur général, Louis Eboupeke, a séjourné dans le chef-lieu de la région du Nord. Bras séculier de l’Etat dans la coordination des activités portuaires, cette structure placée sous la tutelle technique du ministère des Transports, a procédé à une évaluation et au diagnostic de l’existant. Elle a fait un état des lieux. Le chef de mission a révélé à la presse que son équipe est également descendue à Garoua pour s’assurer que les études de faisabilité réalisées par le ministère des Travaux publics, en sa qualité de l’ingénieur de l’Etat, sont conformes au cahier de charges. Ces études portent sur la réhabilitation des installations portuaires existantes et l’aménagement de la voie navigable. Par ricochet, le projet valorisera le fleuve Bénoué et son littoral. Le gouvernement poursuit ainsi la maturation de ce projet d’envergure. La collecte des données constitue une étape très importante. Le port de Garoua est censé désenclaver les trois régions septentrionales, situées dans l’hinterland à savoir l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord. Le Tchad et la RCA, deux pays frontaliers ne possédant pas de façade maritime, seront aussi les grands gagnants de sa reconstruction. C’est là la spécificité du port de Garoua. Dans l’écosystème des ports camerounais, Garoua sera un port unique en son genre. Douala est un port d’estuaire. Kribi et Limbé sont des ports maritimes. Garoua est un port fluvial. Il est érigé sur les berges de la Bénoué. Il ne faut donc pas se louper sur les études. Sinon, ce sera la catastrophe ! Certaines contraintes sont à prendre en compte, notamment l’ensablement de la Bénoué, les périls sécuritaires, le changement climatique avec ses effets pervers dans la partie septentrionale du pays. Il est important de se projeter. En 2050 par exemple, quelle sera la fréquence des pluies dans la vallée de la Bénoué ?

De la bonne maturation du projet dépendra sa fiabilité. Le « Businnes Model » des ports en exploitation à date ne saurait être reproduit à Garoua. Il ne pourra pas recevoir de gros navires. La Bénoué n’est navigable que six à sept mois à l’année ! Si les ports de Douala, Kribi, Limbé desservent les industries, celui de Garoua, lui, pourrait avoir d’autres fonctionnalités. Le Grand Nord est un grand bassin de production de céréales. Le terminal céréalier, vestige du vieux port, a été visité par la mission de l’APN qui a pu découvrir que les les entrepôts étaient remplis de sacs de riz. Preuve que l’activité sans être importante n’en est pas moins négligeable.

La relance de ce projet coïncide avec la publication d’une étude réalisée par le Centre d’analyses sur les politiques économiques et sociales du Cameroun (Camercap-Parc), sous la coordination scientifique du Dr Barnabé Okouda, son directeur exécutif.  Ce Think Tank placé sous la tutelle technique du ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat) incite les pouvoirs publics et les milieux d’affaires à « s’accrocher davantage au Nigeria » et à tirer avantage du décollage industriel de ce grand marché-plus de 200 millions de consommateurs-. L’étude recommande d’intensifier les échanges commerciaux avec ce pays voisin. Ce vœu, sans être original a néanmoins le mérite d’avoir été reformulé au moment où le port de Garoua, l’un des éléments appelés à jouer un rôle de premier plan dans l’attelage suscité, revient au-devant de la scène.

Le 25 juillet 2023, lors d’une séance de travail animée par le DG de l’APN à Hôtel de Ville de Garoua, un participant a fait des propositions qui ont captivé l’auditoire. Un atelier naval peut se créer à Garoua, a suggéré, Inoussa Padam. Les embarcations peuvent également être fabriquées sur place. Le sable extrait de la Bénoué lors du dragage du débarcadère et de l’aménagement de la voie navigable sera de « l’or » pour le secteur immobilier, a proposé le marin. Le port de Garoua recèle un grand potentiel en termes d’opportunités. Il faut donc finaliser les études, poursuivre avec la maturation du projet et la recherche des financements. 16 milliards seront nécessaires pour la réhabilitation et la modernisation de cet équipement de transport. Le chef-lieu de la région du Nord, de plus en plus attractif, peut se frotter les mains. Des infrastructures sportives, hôtelières, routières, sanitaires ont été construites, pour la plupart, à l’occasion de la 33e édition de la CanToalEnergies 2021. Maintenant, Garoua doit accoster à bon…port.

Source : Brice MBEZE (Cameroon Tribune du 7 Août 2023)

Last modified: 22 août 2023

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